Les difficultés de recrutement sonnent le glas de la période d’essai

Quelle est la finalité de l’étude* que vous avez menée à partir de plus de 4 000 offres d’emploi ?
Au-delà des leviers de négociation contractuels habituels que sont la rémunération, les perspectives de travail etc, nous nous sommes concentrés sur les freins à lever pour attirer les candidats dans la phase finale de négociation d’un contrat de travail. De manière générale, cette phase de négociation tend à s’assouplir pour être la plus simple possible.
Est-ce à dire que les délais de recrutement se sont raccourcis ?
L’accélération des process de recrutement est partagée par tous. C’est une demande côté candidats, comme côté entreprises. Les délais de recrutement sont très courts : dans le secteur de l’IT par exemple, on observe des durées de recrutement de moins de dix jours. Au-delà, on est sur des process qui sont jugés trop longs. On s’aperçoit que les entreprises s’attachent à entrer directement dans l’on-boarding, en supprimant la longue phase administrative, notamment grâce à une récupération des documents plus rapide et à la signature électronique. Elles pré-intègrent les collaborateurs par des solutions en ligne avant la signature du contrat pour présenter l’entreprise, ses perspectives… Les entreprises les plus performantes en termes de recrutement sont celles qui sont les plus rapides.
Quel est le résultat le plus surprenant que vous avez constaté ?
Ce qui nous a le plus surpris est la fin de la période d’essai. Cette suppression reste nouvelle et réservée à des profils pénuriques. Alors qu’en France elle était traditionnellement renouvelée, celle-ci tend à disparaître petit à petit. Ainsi, 22% des entreprises, en 2023, se disent prêtes à rompre avec cette tendance et donc à s’engager dans des perspectives fermes et définitives avec un candidat. C’est une bonne nouvelle lorsque l’on sait que la période d’essai constituait un vrai frein technique aux transferts des candidats qui changeaient de région, à la recherche d’autres cadres de vie, et peinaient pour trouver une location ou un financement. D’autre part, en termes d’état d’esprit, avec un turnover de trois ans constaté pour les cadres, une période d’essai de six ou huit mois paraît totalement anachronique. Sachant que l’on demande aux recrues d’être opérationnelles au bout d’un mois et que la période d’essai est une période où le salarié n’est pas en sécurité et n’ose pas prendre de risques. La période d’essai ne montre pas toujours le vrai visage du nouveau collaborateur, celui-ci peut être un peu trop sur la réserve, avoir peur de déraper. Libéré de ces craintes et de ses appréhensions, ce dernier peut montrer son vrai visage, libérer sa créativité et ainsi montrer tout son potentiel à l’employeur.
Quelles sont les autres tendances que vous avez pu relever ?
La notion d’exclusivité indiquant au candidat dans le contrat de travail qu’il ne peut que travailler pour l’entreprise en question tend également à disparaître. Les entreprises semblent moins sensibles sur ce sujet. Elles ne considèrent pas que le contrat doit être toute leur vie et peuvent imaginer que leurs collaborateurs aient des activités dans différents domaines tant que celles-ci ne sont pas concurrentes. Avec le phénomène de slashing et de multi-activité, il n’est pas rare que des collaborateurs qui sont en CDI le jour soient graphistes ou fassent du conseil ou de la formation le soir. A côté de leur activité principale, ils exercent d’autres activités par plaisir intellectuel, par passion ou dans une logique de rémunération ou de reconversion. De même, la clause de non-concurrence à la fin du contrat de travail, qui interdit à l’ancien salarié de travailler chez un concurrent direct, tend également à être supprimée. Cela ajoutait un point de discussion qui pouvait être conflictuel alors que cette clause était difficilement applicable juridiquement pour l’employeur.
Constatez-vous un nombre grandissant d’entreprises qui proposent la semaine de quatre jours ?
La semaine de quatre jours n’est pas encore un phénomène significatif. Les entreprises évoquent plutôt la flexibilité du temps de travail, sans forcément aller jusqu’à un jour de travail en moins dans la semaine. La majorité d’entre elles proposent, en revanche, une souplesse en termes d’horaires. L’époque des horaires contractuels 9h-12h, 14h-18h tendant à disparaître.
Le télétravail s’est-il démocratisé ?
Le télétravail est devenu majoritaire dans les offres d’emploi, soit dans 58% des annonces que nous avons étudiées, sachant qu’en tant que cabinet généraliste, nombre de nos offres sont sur des postes qui sont non télétravaillables, comme en hôtellerie-restauration ou pour des techniciens de maintenance. Les annonces mentionnent, en moyenne, un à deux jours de télétravail. C’est un vrai levier de recrutement, notamment dans l’univers des services. Si une entreprise du secteur ne propose pas a minima un jour de télétravail, elle aura vraisemblablement des difficultés à recruter. C’est un critère important dans les annonces, qui peut faire basculer un candidat qui a le choix entre plusieurs propositions de postes.
Quels sont les secteurs les plus en tension ?
De manière générale, 60% des recrutements sont jugés difficiles, voire très difficiles par les entreprises. En tant que cabinet généraliste, nous travaillons sur tous, mais certains sont particulièrement en tension, comme l’hôtellerie-restauration, la comptabilité, la santé, l’administration de biens, l’expertise-comptable, la logistique et le transport.
*Enquête Solinki basée sur l’étude de 765 postes à pourvoir en 2023 et 3 315 en 2022.