
Marianne Rötig a réalisé son rêve : embarquer sur un géant des mers au départ du Havre. Une aventure qu’elle narre dans « Cargo ». (©Pixabay.)
Avec Cargo, Marianne Rötig signe un sublime récit de voyage. Elle raconte au fil des pages son épopée maritime, depuis son embarquement au Havre (Seine-Maritime), jusqu’à son arrivée à Malte. Sept jours en mer, sept jours pour confronter ses images mentales à la réalité, sept jours pour construire une cosmogonie personnelle.
Une odyssée racontée avec poésie et élégance. Entretien avec Marianne Rötig.
LIRE AUSSI : Du Havre aux Caraïbes. L’épopée maritime d’un cinéaste de Seine-Maritime
Une fascination pour les ports
76actu : Vous débutez votre récit, en évoquant des souvenirs de jeunesse : Hambourg, son port, ses conteneurs. Une invitation au voyage. C’est au Havre que tout commence pour vous. Vous avez eu un vrai coup de cœur pour la ville ?
Marianne Rötig : J’ai toujours été fascinée par les ports. Cela faisait longtemps que je fantasmais sur Le Havre. Si la ville est proche de Paris, je n’avais pas eu l’occasion de venir. Il a fallu des années avant que j’effectue mon premier voyage au Havre. Ma première rencontre avec la ville, c’était il y a cinq ans. Je me suis perdue dans les rues. J’avais une image floue du Havre, celle d’un bout de terre. C’est un endroit vraiment à part. Le Havre ne laisse personne indifférent : soit on aime, soit on n’aime pas trop. Rapidement, j’ai su qu’il se passait quelque chose avec cette ville.
Votre venue au Havre a aussi réveillé des souvenirs personnels.
Oui, j’ai une histoire familiale avec Le Havre. Le grand-père de mon grand-père est passé par Le Havre. Né en Allemagne, il devait embarquer pour les États-Unis, afin d’aller y chercher du travail. Finalement, il s’est arrêté au Havre et y a tenu une maison d’horlogerie. Lors de ma première visite, je suis tombée sur un horloger. Une nouvelle évidence pour moi : si je devais faire un voyage en cargo, il me fallait absolument partir du Havre.
LIRE AUSSI : Le plus grand porte-conteneurs au monde battant pavillon français, accoste au Havre
Le Havre : une histoire d’amour
Comment s’est organisée cette odyssée maritime ?
Monter à bord, ça s’est fait sans réflexion. J’ai vu que c’était possible de monter sur un cargo. Le voyage a été très facile et très simple à mettre en place. Ma seule contrainte imposée : partir du port du Havre. Je suis donc revenue plusieurs fois, je suis allée plus loin dans le port. J’y ai traîné pas mal. J’ai rencontré la ville par le port : on peut parler d’une histoire d’amour avec le port.
Quand vous décrivez votre arrivée sur le port, on se croit dans un film des années 40, une esthétique à la Casablanca. Vous parlez d’un « suspense de polar » pour décrire cette transition entre la ville et le port, le trajet en taxi. Le voyage démarrait là ?
Oui, j’ai cheminé dans le port, avant d’atteindre le quai pour embarquer. L’ambiance, de nuit, y est très particulière. Il faut prendre un bus, puis un taxi, avant d’atteindre la destination finale : le quai.
LIRE AUSSI : EN IMAGES. Découvrez le port du Havre à bord du Ville du Havre II, durant tout l’été
Sept jours en mer : l’odyssée de Marianne

« Cargo » de Marianne Rötig est publié aux éditions Gallimard. (©S.B./Normandie-actu)
Votre projet littéraire vous a-t-il permis d’assouvir une envie de lointain, de donner corps à vos rêves ?
En embarquant, je n’avais pas imaginé que cela deviendrait un livre. J’avais commencé un roman et ne pensais pas écrire sur cette expérience. Cargo est le livre du livre, qui est né sur la route de l’autre. Quand je pars en voyage, j’écris tous les jours dans des carnets. Tel était le projet initial. Puis, la vie à bord, le rythme du voyage ont orienté les choses autrement.
La rencontre avec un ami m’a donné l’idée de structurer le livre en m’appuyant sur les sept jours de traversée. Il a fallu sept jours pour créer la Terre. Les jours de la semaine ont structuré mon écriture. J’ai commencé à agencer le récit sur le bateau. L’écriture a été rapide. Je suis rentrée en décembre et j’ai écrit en janvier.
Dans Cargo, peut-on dire que vous réécrivez votre propre mythologie personnelle ?
Je crée une sorte de cosmogonie. Ce livre est la réécriture d’une mythologie personnelle et de la mythologie, au sens large. Je suis entre deux eaux, entre deux terres. Que se passe-t-il dans cet espace infini ?
LIRE AUSSI : EN IMAGES. Assises de la mer : la capitainerie, porte d’entrée du port du Havre
Seule femme à bord
Vous étiez la seule femme à bord. Comment avez-vous vécu cette expérience ? Cette rencontre avec l’équipage ?
En fait, j’étais surprise car j’étais la seule passagère à bord : d’ordinaire, les voyages en cargo sont souvent complets. Je n’avais eu aucun renseignement préalable sur le voyage. Être la seule femme à bord est particulier : il faut accueillir la chose, se faire une place. L’équipage était courtois et très respectueux.
Se succèdent des portraits, des récits de moments partagés. Vous étiez seule touriste, mais jamais seule à bord de ce grand bateau.
Oui, j’avais l’impression d’être une passagère clandestine. J’étais une hôte de luxe car je dînais à la table des officiers. Il y avait beaucoup de bizarreries à observer cette semaine-là, notamment la vie de l’équipage. Ce qui m’a marquée, c’est le silence et l’élégance des marins. J’ai pu dresser des portraits singuliers de ces personnes que j’ai côtoyées pendant une semaine.
Éprouver la mer, le temps
Comment avez-vous vécu cette expérience solitaire ? L’isolement a-t-il nourri votre écriture ?
Je ne suis jamais sentie seule à bord car je dialoguais quotidiennement avec mon écriture. Si le bateau est immense, les espaces d’habitation ne sont pas grands donc on se croise tous. Je me suis même sentie plus accompagnée que d’habitude.
Votre livre se termine sur l’arrivée à Malte. Alors que vous avez pris le temps de longuement décrire Le Havre, le départ, ce retour sur la terre ferme est évoqué rapidement. La volonté de ne pas effacer les souvenirs vécus en mer ?
L’écrivain est un peu filou. Mon livre est écrit chronologiquement. Or, la première partie a été rédigée en grande partie sur le bateau même. Puis, à partir de dimanche, je n’ai pris que des notes. Ce qui m’intéressait, c’était la traversée. Il me fallait mener avec rigueur mon enquête sur la semaine. Une fois le port de Malte atteint, le voyage prenait fin et le récit avec.
Infos pratiques :
Cargo de Marianne Rötig, aux éditions Gallimard, Coll. « Le sentiment géographique ».
Prix : 12,50 euros.