Hélios Azoulay raconte « Pour Tommy »

C’est un livre rempli d’amour. Pour Tommy réunit les aquarelles de Fritta, peintes pendant son internement à Auschwitz, et le récit d’une famille séparée par la tragédie de l’Histoire. Hélios Azoulay raconte avec des mots et un style délicats. Il sera jeudi 4 mai à la librairie Armitière pour une rencontre et lundi 8 mai au temple Saint-Eloi à Rouen pour un concert avec l’ensemble de musique incidentale.

« Ce livre est le premier d’une longue série que je veux encore peindre pour toi ! » Bedřich Fritta conclut avec cette phrase le livre illustré qu’il réalise pour le 3e anniversaire de son fils, Tomáš. C’est une série d’une cinquantaine d’aquarelles magnifiques, empreintes de joie, de douceur, de fraicheur, d’innocence, d’une infinie tendresse et surtout d’amour. Elle commence avec un beau gâteau éclairé par trois bougies et se poursuit avec des scènes quotidiennes d’un petit garçon espiègle et plein de vie, craquant avec ses joues aussi rebondies que ses fesses. Le père imagine aussi les années à venir, les bains de mer, les promenades dans un jardin, les voyages, les marchés… Il se demande quel métier exercera ce fils, devenu adulte. Peut-être un ingénieur, un détective, un peintre ou un boxeur mais surtout pas un homme d’affaires ou un militaire bedonnants, gonflés d’orgueil.

Certes Pour Tommy, pour son 3e anniversaire à Terezin, 22 janvier 1944 !, ravit et amuse mais les sentiments sont vite contrariés. Le livre bouleverse. Parce que cet avenir, Bedřich Fritta ne le verra jamais. Avec sa femme, Johanna et son fils, ce caricaturiste tchèque qui travaillait pour un journal et un magazine antifasciste a été déporté à Terezin en février 1942. Devenu directeur du bureau de dessin du département technique, il a réalisé des croquis, des tableaux de statistiques avec une vingtaine de dessinateurs. Entre les productions pour la propagande nazie, tous ont pris le temps et le risque de raconter ce qu’ils vivaient.

Une résistance

Comme dans un élan de résistance, Bedřich Fritta dessinera pour son fils et croquera des scènes de vie dans les camps. Sur ces dessins-là, pas de couleurs, pas de rondeurs. Tout est sombre. Les maisons avec leurs murs et leurs toits de travers, semblent s’écrouler. Dans les espaces, tout, le mobilier et les déportés, est entassé. Bedřich Fritta laisse percevoir des silhouettes au regard figé par la peur, la souffrance et la détresse. En juillet 1944, tous les artistes se font prendre. C’est l’Affaire des peintres. La plupart sont envoyés à Auschwitz où Bedřich Fritta meurt le 4 novembre.

Avant son départ, le dessinateur a eu le temps d’enterrer au fond de la cour d’une ferme une boîte en métal contenant ses chefs-d’œuvre. Il partage son secret à un de ses amis proches, Leo Haas, et lui demande de s’occuper de son fils si lui parvient à survivre. Enfermée dans une cellule après cet épisode, Johanna mourra du typhus en février 1945. Leo Haas a sauvé les centaines de dessins de Fritta et cet ouvrage pour enfants. Son épouse, Erna, a sauvé Tommy. 

Une belle découverte

Dans un de ses livres, L’Enfer a aussi son orchestre, Hélios Azoulay a déjà publié un des dessins de Fritta. Des œuvres qu’il trouve depuis treize ans lors de ses nombreuses recherches sur les musiques composées dans les camps de concentration pendant la Seconde Guerre mondiale. Outre les nombreuses partitions oubliées, le musicien, auteur et poète fait désormais découvrir en France Pour Tommy. Aux aquarelles, il ajoute un texte, Dans Le Creux d’aimer, pour raconter l’histoire de cette famille et la barbarie nazie. « Il était important que le lecteur sache ce qu’il a entre les mains. Il y a une densité dans cet ouvrage qui a l’air anodin. Je n’ai pas voulu recouvrir le texte mais l’envelopper », indique Hélios Azoulay. Il relate avec « un souci de vérité » et « une écriture plus douce » et sensible, ponctuée de quelques remarques bien piquantes. Ces courts chapitres, séparés par la reproduction d’un oiseau ou d’une étoile de Fritta, est une traversée, en forme de pensée sur la transmission — un thème cher à Hélios Azoulay —, sur l’art, l’histoire et l’enfance. 

Pour cet ouvrage, Hélios Azoulay a rencontré David Haas, le fils de Tomáš Fritta-Haas, et sont devenus proches. « Mon père était peintre et ses dessins ont disparu. Je les ai cherchés mais en vain. Je sais ce qu’est de regarder un dessin et de chercher un père ». Ensemble, ils sont allés confier l’original de Pour Tommy, pour son 3e anniversaire à Terezin, 22 janvier 1944 ! au musée juif à Berlin. « Dans le bureau de la directrice, il m’a tendu l’ouvrage. Il n’avait pas la force de le regarder. Il m’a dit : a last time without gloves, une dernière fois sans les gants. J’ai pu le feuilleter ». 

Hélios Azoulay sera jeudi 4 mai à la librairie Armitière à Rouen pour évoquer le livre. Quatre jours plus tard, il sera au temple Saint-Éloi avec son Ensemble de musique incidentale pour interpréter des berceuses et autres musiques écrites dans les camps.

« Tommy peint », Bedřich Fritta, éditions du Rocher

Infos pratiques

  • Jeudi 4 mai à 18 heures : rencontre et dédicace de Pour Tommy à la librairie Armitière à Rouen. Sur inscription
  • Lundi 8 mai à 20 heures : concert de l’ensemble de musique incidentale, dirigé par Hélios Azoulay, au temple Saint-Éloi à Rouen