Fareva, un modèle d’industrie
Si cette mission est officiellement lancée chez Fareva, c’est que Bernard Fraisse, son président, incarne cette passion de l’industrie, en particulier l’industrie pharmaceutique, fer de lance sur l’Agglo Seine-Eure. « Vous avez donné ses lettres de noblesse au métier de façonnier, en reprenant 1 à 1 tous les sites industriels que les grands groupes pharmaceutiques ou cosmétiques voulaient fermer ou se défaire, à chaque fois en y ajoutant de la valeur ajoutée créatrice d’emploi et en y investissant des technologies de pointe. Aujourd’hui Fareva c’est 39 sites dans 12 pays sur 3 continents, 12 000 salariés et des dizaines de millions d’euros investis » félicite Bernard Leroy.
A Val-de-Reuil, Valdepharm est dédié aux principes actifs pharmaceutiques (API) et à la fabrication de produits injectables stériles pour la santé de l’homme et de l’animal. Il est spécialisé dans la lyophilisation. Un nouveau bâtiment du pôle chimie (une unité de cristallisation aseptique) est en cours de construction dont les lignes de production doivent démarrer fin 2021 (investissement : 12,5 M€). Deux lyophilisateurs (portant leur nombre à 9), d’un investissement de 7 M€, permettront à terme d’augmenter la capacité de 30% pour deux produits. « Nous retrouvons nos principes actifs dans des médicaments comme l’ibuprofène, le Xanax, les pilules contraceptives, les antidépresseurs, les anticancéreux, l’hydrocortisone… » donne pour exemple Frédéric Baudry, directeur chimie. D’autres molécules sont en développement dans les domaines de la lutte contre la résistance antibiotique, la santé animale, les problèmes intestinaux ou la ménopause.
La forte croissance de la production a incité Valdepharm à tourner 7J/7 et à mettre en place avec la Région et Manpower une formation d’opérateurs de production. Ils étaient 24 en janvier 2019 et passeront à 82 fin 2021 quand la nouvelle unité de fabrication démarrera. Valdepharm emploie aujourd’hui 520 personnes.
Commentaire de Florestan:
Depuis les années 1990, avec l’initiative avant-gardiste du préfet de région Rémy Pautrat alors en poste en Basse-Normandie, la Normandie a réussi à acclimater dans ses élites dirigeantes une authentique culture de l’intelligence économique territoriale: la Normandie sortait d’un cycle redoutable de déclin économique, social et politique en conséquence de l’effondrement de son appareil industriel marqué par le fordisme des belles années de prospérité illusoire des années 1960/1980 au sortir de l’Après guerre et de la Reconstruction.
Avec l’ouverture de la France dans le marché européen et l’ouverture du marché européen dans un marché mondial qui s’opère progressivement à partir de la fin des années 1980, l’appareil industriel normand n’est pas adapté pour affronter le choc car c’est une industrie de main d’oeuvre, certes une main d’oeuvre qualitative mais qui va coûter définitivement trop chère par rapport aux standards mondiaux.
En outre, cette industrie normande n’était pas assez qualitative dans ses productions et elle était largement dépendante (elle l’est d’ailleurs toujours hélas) de donneurs d’ordre extérieurs à la région (donneurs d’ordre situés soit en région parisienne, soit à l’étranger) pour ce qui est des fonctions les plus qualitatives et stratégiques de la chaîne de valeur industrielle (l’innovation, le management, la gouvernance, les services aux entreprises).
En un mot, la Normandie industrielle des années 1990 était, avant tout, un espace servant et passif de la région parisienne: l’enjeu politique de la réunification normande qui est apparu de plus en plus pertinent au cours des années 2000 a donc été celui de construire un pilotage normand de la Normandie industrielle pour qu’il puisse enfin exister un exécutif politique régional normand pouvant arbitrer un intérêt général normand ayant un intérêt national, à la vue du triste bilan d’une Normandie coupée en deux avec une capitale régionale à… Paris.
Depuis quatre ans maintenant, la Normandie est réunifiée et le premier exécutif régional de l’unité normande retrouvée présidé par Hervé Morin s’est concentré, avec raison et efficacité, sur l’urgence de reconstruire une Normandie économique et industrielle beaucoup plus résiliente et efficace qu’autrefois grâce à l’évidence du retour à l’unité normande, au sentiment d’une fierté régionale retrouvée, à l’idée de construire un réseau normand de solidarités régionales qui n’avait jamais été mis en oeuvre depuis la fin de la Seconde guerre mondiale à l’échelle de toute la Normandie: c’est une seconde reconstruction normande qui commence sous nos yeux.
Dans ce contexte, la stratégie d’intelligence économique territoriale choisie dès le début de son mandat par Hervé Morin et son équipe joue un rôle central et certains, notamment ici sur l’Etoile de Normandie, ont même poussé l’enthousiasme jusqu’à évoquer la notion de souveraineté normande en matière de développement économique et industriel: nous assumons cette notion mais il faudrait la préciser…
Bien évidemment, il ne s’agit pas de revendiquer on ne sait quelle autonomie ou indépendance territoriale ou politique pour la Normandie: nous sommes, certes, des régionalistes normands mais nous le sommes de façon sérieuse et responsable.
L’idée de souveraineté renvoie à celle, concrète, des marges de manoeuvre, de liberté d’action et d’expérimentation avec les moyens qui vont avec (ressources financières et intellectuelles) que devrait pouvoir obtenir de la part d’un état central (dont l’état profond est de culture jacobine autoritaire) un exécutif régional pour agir sur un intérêt général régional ayant une importance nationale:
La suite de l’aventure de la réunification normande, à l’occasion, par exemple, d’un second mandat régional pour Hervé Morin (ou pour un/une autre qui serait de taille pour poursuivre une oeuvre déjà engagée) sera de construire une souveraineté normande coopérant avec celle de l’Etat qui est le véritable maître de la région parisienne, première région urbaine d’Europe par sa richesse produite mais qui est tout sauf une région…
La DATAR l’un des chef d’oeuvre du dirigisme étatiste français de l’Après guerre n’existe plus et certains regrettent son absence. On rappellera la signification de ce sigle devenu mythique chez les géographes et les décideurs publics et privés: Direction de l’Aménagement du Territoire et de l’Action Régionale.
A la belle époque de la DATAR, la première partie du sigle n’a que trop bien fonctionné pour le meilleur souvent mais parfois pour le pire. Quant à la seconde partie du sigle, jacobinisme et centralisme aidant, il n’aura été que peu mis en oeuvre et il faudra attendre les années 1990 et 2000 avec la décentralisation politique et administrative régionale ainsi que la contractualisation financière planifiée entre l’Etat et les Régions pour voir le début du commencement d’une authentique « action régionale »: on sait qu’en raison de sa division en deux régions et en l’absence d’une métropolisation régionale suffisamment forte, la Normandie est passée à côté de ce moment historique important qui a fait la fortune des actuelles métropoles régionales d’équilibre dans un grand quart Ouest/ Sud-ouest de la France.
Mais déjà avec la crise de 2008 puis celle de 2020, une crise historique par sa gravité, on sent bien que nous sommes à la fin d’un cycle en matière de décentralisation et que la réussite des actuelles métropoles régionales validée par la dernière réforme territoriale de 2015 présente des fragilités structurelles qui risquent d’éclater avec l’actuelle crise:
L’avenir est certainement à des territoires plus… résilients, plus agiles, plus efficaces, intelligents, solidaires. En un mot: des territoires plus authentiques!
L’avenir est donc dans une nouvelle étape de la décentralisation: une coopération approfondie entre l’Etat central qui se doit de maîtriser, plus que jamais, le niveau macro-économique au nom de ses responsabilités régaliennes et de vraies régions, communautés humaines locales, solidaires et fières d’elles-mêmes assises sur de vrais territoires.
Pour le dire autrement, il s’agirait de faire enfin de l’Action Régionale pour un Aménagement stratégique du Territoire car une « ARAT » remontant du terrain (subsidiarité ascendante et démocratique) pourrait être plus efficace que la défunte DATAR (déconcentration descendante) dans le cadre d’une souveraineté plus que jamais partagée entre l’Etat central et ses collectivités territoriales régionales.
La Normandie, première région industrielle française, seule vraie région-province de France (avec la Corse) région d’intérêt national en raison de son lien intrinsèque avec la région parisienne doit donc être un territoire privilégié d’expérimentation: Hervé Morin et Bernard Leroy ont donc parfaitement compris que nous vivions un moment historique…
La relocalisation industrielle en Normandie est un sujet d’actualité mais le sujet n’est pas pour autant nouveau: en 2014, les médias régionaux et nationaux avaient fait grand cas du retour en France de la société Lucibel après quelques déboires en Chine (malfaçons, corruption, vol de brevets, coût du transport entre la Chine et l’Europe).
Lucibel avait choisi la Normandie et Barentin pour son retour en France… A l’époque c’était perçu comme exceptionnel. Avec la crise actuelle, le mouvement de relocalisation industrielle vers la France pourrait s’amplifier à condition que les territoires concernés y soient préparés: la Normandie est d’ores-et-déjà prête!